mardi 26 juin 2007

Idoles Passées - Franco Gasparri

Dans le cours de mon adolescence, j'ai dû lire un millier de photo-romans. C'est au salon de coiffure que fréquentait ma mère, où il y en avait des piles et des piles, que j'en ai fait une première lecture. Mais pour être honnête, est-ce que je lisais? Ou bien, est-ce que je regardais juste les images? Est-ce que je vivais tout par vicariance? La plupart du temps, j'étais fascinée par les intrigues, par les réactions des protagonistes qui me semblaient si peu familières. Ils semblaient toujours si stoïques. Un autre monde. Une vue directe sur un aspect de la vie adulte qui ne fut pas un récit d'un autre temps, tout droit sortie d'un classique, une référence pour le temps présent, pour ma vie qui manquait, visiblement, de références pratiques. Je cherchais parmi les femmes Lancio un modèle qui m'interpelle.


Il fut un temps où mon père achetait 5 ou 6 copies à ma mère toutes les fins de semaine pour lui faire plaisir. Elle les lisait une fois le ménage de la maison et de la propriété fait, allongée au soleil ou tandis que le souper mijotait, entres ses Photo Vedettes et Photo Police. Cela se lisait en moins de 15 ou 20 minutes. Elle avait le premier choix. Je devais attendre qu'elle les ai lu pour pouvoir mettre la main dessus... Quand mon père s'aperçut de mon intérêt omnivore pour ce genre littéraire, il a tôt fait de le bannir. Superflu et irréaliste, selon lui. J'ai eu droit à des saisies majeures, des disparitions indûes. Je ne me rappelles plus à partir de quand, mais c'est en cachette, que je suivis les aventures amoureuses de Franco Gasparri, tout en traversant le passage à l'âge adulte. Ma mère laissait traîner ses copies volontairement dans la salle de bain, question de diluer la sévérité du jugement paternel, question aussi de gagner un levier pour manipulation ultérieure. J'étais déjà réputée pour mes disparitions à la fin des repas vers la toilette des demie-heures durant afin d'éviter la corvée de vaisselle. Alors je croyais naïvement que je ne risquais rien à lire tandis que j'y étais, rien de pire que les sarcasmes habituels.


Dès que j'ai eu des revenus de poche, j'investis des sommes pour me procurer hebdomadairement, les copies couleur de la Lancio. J'ai englouti des montants faramineux pour du papier ciré dont les rebords semblaient avoir été coupés par des ciseaux de coutures dentellés. Après des années de soins méticuleux pour mes copies, tout s'est retrouvé un jour aux poubelles avec le plus grand détachement.


Franco Gasparri. De tous les protagonistes, il était le seul à me faire frémir à tout coup. Je le trouvais beau. Il a contribué à fonder mon archétype de l'homme de rêve. Quand je regarde des photos de lui aujourd'hui, je vois un bel homme pour qui je ressens une douceur nostalgique, mais qui demeure pour moi un inconnu. Toutes ces années, je n'ai pratiquement rien su de lui hormis tous les fantasmes qu'il a provoqué. Un peu la même relation de projection que chez le psychiatre - avec des bénéfices moins... évidents.


Il était italien. Une vedette italienne connue des italiens. (Encore !?!) Une vedette de série B? En fait, ce jeune homme a connu un destin tragique. Amateur de motocyclette, il eût un jour de 1980 un accident qui posa une halte définitive à sa carrière qui avait pris un tournant cinématographique. Il avait 32 ans. Il termina ses jours en chaise roulante, quadraplégique, comme Christopher Reeve (Superman) et mouru en 1999 de complications pulmonaires. Même si cela fait un certain temps que je le sais, cela me semble toujours irréel. Lorsque je l'ai appris, j'étais pourtant déjà sevrée de ce genre de lecture. Le fait qu'il soit mort, et qu'il ne fasse pas partie vivante de mon présent, même à titre de parfait inconnu, qu'il soit comme mes fantasmes, évanouis, me paraît chose triste, doublement triste.


Mon père n'avait pas tort de penser que c'était de la littérature vide. En fait, c'était la répétition dévorante de ces scénarios qui était vide. Mais, ses interdictions intransigeantes étaient tout aussi à prescrire, car elles ont interférées avec un processus d'identification légitime. Tout passe. Même l'adolescence. Un peu de patience aurait fait des merveilles. C'est culpabilisant de toujours devoir se cacher pour exister. Bon. J'ai survécu. À ça aussi.











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