lundi 7 mai 2007

Mort, Deuil et Rites funéraires II

Cette seconde page est pour faire état de mon expérience personnelle avec la mort. Pour faire la contrepartie au texte aride bien qu'informatif qui précède.



J'avais onze mois quand la fournaise du magasin de mon grand-père a explosé. Mes parents et moi habitions à l'étage supérieur en appartement. Ma gardienne était dans le bain et n'entendit pas la déflagration. La porte de la toilette était fermée. La radio et elle chantaient à tue-tête. Elle ne sentit pas la fumée. Pourtant, l'odeur d'huile et de bois brûlés était tenace. Je me rappelles avoir regardé du haut de la galerie avec fascination les camions rouges des pompiers. Ces derniers s'affairaient à dérouler de longs boyaux. Ils étaient habillés de longs manteaux qui semblaient lourds. Armés de haches, ils traversèrent une foule de balourds et de curieux s'agglomérant en leur sommant de s'éloigner. Le soleil plombait, ce devait être près de l'heure du dîner. Ma mère arriva en trombe de son travail en hurlant. On l'empêcha de monter ce qui attisa sa colère et son hystérie. Elle invectivait à volonté, elle était hors d'elle. On me sommait de rester là et on criait le nom de la jeune étourdie. Les pompiers sont montés et nous ont sortis sans problème. Ma première expérience intense, hormis celle de ma naissance, fut de vivre la réaction de ma mère devant le danger imminent, devant la proximité de cette limite finale, celle de la mort. J'avais maintenant en miroir l'inquiétude et la colère en toile de fond, sa peur à elle. On a tout perdu à cause du dommage de la fumée. Ce fut la raison de notre premier déménagement, d'une nouvelle garde-robe et d'une nouvelle gardienne.


Nous vécûmes trois ans près de l'épicerie. C'est là que je me fis mes premiers amis, les enfants des voisins inmmédiats. J'observai que chaque famille vivait à des rythmes différents, avec des priorités différentes. C'est à cette époque que j'eu mes premiers cours de diction et de bienséance et que je fis ma pré-maternelle privée. Outre cela, j'avais des rapports quotidiens avec des personnages tel la gardienne (j'en changeai trois fois); le facteur qui me conseillait de ne pas coller ma langue sur la glace de la rampe en fer forgé; le boucher qui m'offrait du boudin à chaque fois que je passais devant son comptoir (Erk!); le chauffeur de taxi que j'appela toute seule au téléphone en mimiquant le geste quotidien de ma mère pour qu'il vienne me conduire moi aussi à son travail; ou notre chambreur, André, qui aimait l'art et les belles choses et avait la patience de répondre à toutes mes questions. Sinon, tous les samedi, je jouissais d'un bain de foule juste à circuler dans ma décapotable rouge devant notre maison, c'était jour d'épicerie.


Peu de temps suivant la naissance de ma soeur, nous déménageâmes de nouveau dans plus grand, plus moderne, plus luxueux, plus lumineux... à deux coins de rue. À quatre ans et demi, c'est loin. Les premiers temps, André ou mes amis vinrent rendre visite, puis plus rien. J'avais de nouveaux voisins, mais ce fut difficile de les apprivoiser. Je m'ennuyais de mes autres amis. Mais, ceux-ci m'oubliaient vite. Avec le temps, je parvins à créer de nouvelles habitudes avec mes voisines. Louise Ménard et Dominique Santoire. Elles étaient très différentes l'une de l'autre, et très différentes de tous ceux que j'avais connu jusque là. La maison de Louise était ténébreuse et ses parents, vieillots, son père plus menaçant, mais elle était plus libre. La maison de Dominique était une vraie ruche animée, qui à tous les jours éclatait de rires et de joie. Chez moi, c'était beau et vide. Le silence pouvait y être oppressant. J'y passais souvent mon temps à regarder la poussière suspendue dans les airs que la lumière chatoyait. Heureusement que cela me fascinait, car les gardiennes s'occupaient des tâches ménagères et ne jouaient pas avec moi. La maison devenait animée seulement quand mes parents revenaient du travail. Il n'y avait plus de mouvement de foule, mais une circulation assidue de gens. Nous étions sur le chemin de l'école des garçons et de l'église. C'est à cette époque que je fis ma maternelle et ma première année privée dans une école à la pédagogie alternative pour cette période, et que j'entamai ma deuxième et troisième année à l'école du quartier tenues par des soeurs et, scandale, par les premiers enseignants laïcs du réseau public. Je ne vivais pas bien tous ces changements radicaux de milieux, de liens, mais personne ne semblait le relever, mes parents étaient pas mal accaparés par le nouveau bébé, quand ils étaient là.


Mon premier mort fut James. Mon cousin James. Ma soeur était venue au monde un an plus tôt. James venait me voir une fois par semaine en vélo pour passer du temps avec moi, ce qui donnait un petit répit à ma mère. Il faisait le long trajet, traversait le pont Concorde pour se rendre jusqu'à LaProvidence. Il avait tout juste 11 ans et moi 5. Je me rappelles de ses yeux bruns de biche avec ses longs cils, des yeux doux et tendres. Il était très attentionné à moi. Il promettait toujours qu'il prendrait bien soin de moi à ma mère. Il riait beaucoup et me faisait rire aussi. Il aimait dessiner. Nous parlions beaucoup. À chaque fois, je l'attendais à la fenêtre jusqu'à ce que je le vois arriver en vélo et se rendre derrière la maison pour le stationner. J'étais toujours fébrile et heureuse de le revoir. Puis un jour, ils m'ont dit qu'il ne reviendrait plus car il était parti au ciel. Ils ont dit qu'une voiture l'avait happé mortellement. J'ai été inquiète qu'il ait été étendu là seul sur la chaussée publique, blessé ou sectionné à mort, loin de chez lui. Ils n'ont pas voulu que j'aille à ses funérailles. J'ai eu l'impression d'avoir été punie deux fois: ne plus le revoir et ne pouvoir le saluer une dernière fois. Cela m'a manqué. La communion qu'il y avait eu entre nos esprits n'a jamais été dupliquée à ce jour. Mais ce piedestal pourrait être une incidence du deuil ou de mon sentiment d'isolement, de ma solitude.


Dans ma famille, les morts viennent toujours par trois. Dans les semaines ou les mois qui suivirent, il y eu André le plus jeune frère de ma mère mort noyé. Je ne le connaissais pas bien. Mais c'était tragique. Dix-neuf ans, il était avec des amis à la rivière, ils buvaient, ils plongeaient. Il a crampé et n'est plus remonté. Ma mère en a parlé longtemps comme si cela avait été de la faute de ses amis, puis de sa faute à lui. Puis mémère, 97 ans, la mère de mon grand-père. La plus drôle, la plus malcommode et la plus vivante des personnes âgées que j'ai jamais connu. Mauvaise perdante, elle trichait aux cartes et bonne joueuse, elle faisait du tricycle avec nous. Têtue comme une mûle, elle tenait à vivre seule. Elle aimait malmener les gens au caractère mou... et nous tapait des clins d'oeil quand elle réussissait à les faire fuir en pleurs. Elle était haute comme trois pommes, recourbée de surcroît et ne reculait jamais devant son fils de 6'3". Je n'eu pas le droit d'aller au "salon" pour eux non plus. J'étais trop jeune disait ma mère. Bien que j'adorais Mémère, à cinq ans, je trouvais très acceptable qu'elle nous quitte. Par contre, ces décès touchèrent mes parents plus profondément, et l'atmosphère à la maison était celle du deuil. Elle touchait la famille élargie et dans toutes les maisons une atmosphère de repliement sévissait. Des pleurs derrière les portes closes. Des mines basses. Des discussions animées et des commentaires à propos des autres membres de la famille. De l'inattention. Du changement d'attitude. Déconcertant.


Quelqu'un de la famille de mon père qui vivait à la campagne est mort, et nous y sommes allés. C'était la veillée au corps... dans la maison! Le mort était couché dans son lit, entouré de broderies. C'était une vieille personne qui semblait dormir. Il y avait une odeur de maladie et de décrépitude dans la pièce que celles des fleurs n'arrivait pas à couvrir. Et il y en avait du monde. Les femmes étaient toutes vêtues en noir avec des voilettes sur la tête, des mouchoirs de coton à la portée de la main. Les hommes portaient le brossard noir. Il y avait des éclats de pleurs de temps à autres et on éloignait vite la personne dans un coin plus intime en l'entourant d'attentions. Il y avait des moments de prière où tout le monde s'agenouillait pour réciter le chapelet, la pièce aspergée d'encens, la tête penchée. Les gens chuchotaient, les proches sanglotaient, soupiraient, racontaient les derniers moments, se remémoraient le passé, se donnaient les dernières nouvelles. Tant que le prêtre était là tout le monde était sur son 31. Mais dès qu'il quittait, l'atmosphère relaxait, on parlait plus fort, on dénouait les cravates, on roulait les manches, agissant comme si le mort était toujours vivant parmi eux. Les gens mangeaient et buvaient abondamment. Les enfants ne tardaient pas à se regrouper ensemble pour s'occuper, ou étant chassés par les adultes s'ils se faisaient trop bruyants, les laissaient libres de transgresser les limites et faire de l'exploration de la propriété puisque les adultes ne surveillaient plus si bien. Toute ma famille y était, mes oncles, mes tantes, mes cousins, ma cousine. Nous étions en famille élargie parmi d'autres cousins, cousines. Les adultes se connaissaient tous. Certaines de ces connaissances tentaient de me pincer les joues, m'intimidaient, me disait comme j'avais grandie. Et le soir, les enfants tombaient un à un, de fatigue, de sommeil. Je m'éveillai chez moi le lendemain matin et la vie continua comme si rien ne s'était passé.


Il y eu beaucoup de décès dans cette période de ma jeunesse. Ces deuils n'étaient pas personnels. Souvent, vêtue de noir, je me suis jointe à la famille pour accompagner ami(e)s et parents éloignés à leur dernier repos. Après l'inévitable visite au salon mortuaire où l'odeur des fleurs fraîchement coupées et légèrement réfrigérées nous prenait le nez, nous faisions partie des longues processions qui menaient du salon à l'église et de l'église au cimetière. Souvent, il faisait lourd, froid, venteux et pluvieux, le temps de dire adieu. Aucune des cérémonies ne se ressemblait, car le rapport à la personne ou celui qui était entretenu avec la religion changeait imperceptiblement selon les familles, les bourses ou les années.


Parce que mon père désirait ouvrir un second commerce, nous avons changé de résidence à nouveau. De Saint-Hyaçinthe, nous avons emménagés à Beloeil, où nous sommes restés cinq ans. Jusque là ma vie avait été scandée hebdomadairement par la visite dominicale chez mon grand-père paternel où je retrouvais mes cousins et ma cousine. C'était ma principale activité de socialisation. Bien qu'on leur rendit visite de temps à autres dans les années qui suivirent, il n'y eut plus jamais la même proximité. Je devins une étrangère, et bien qu'il sont toujours ma famille et que ce lien soit indéniable, ils me devinrent étrangers.


En jouant dans le quartier un jour, je me retrouvai devant un oisillon tombé de son nid. Cela me prit du temps pour faire du sens de ce que je voyais. Le corps était translucide et n'avait pas de plumes. Le corps était tordu dans une position qui ne semblait pas naturelle, légèrement figé, mais encore mou et flasque. La mère piaillait avec force au-dessus de ma tête semblant m'accuser de lui avoir arraché son petit. Je m'éloignai sans avoir pris le temps de l'examiner à fond. Je sentis une vague d'inquiétude me submerger, comme un faux pressentiment, un mauvais tour de mon imagination.


Une autre fois encore, à la recherche d'aventure dans mon temps de loisir, j'épiai le voisin arrière qui à chaque fois qu'il arrivait chez lui passait du temps dans son garage. Juchée sur le pieu de la clotûre, en équilibre, je l'espionnai. Il dépeçait du poisson. Quand je l'ai réalisai, j'ai crié d'horreur, me sauvant voir ma mère pour lui dire que notre voisin était un meurtrier. Ils ont eu beau m'expliquer, je suis toujours restée sur mes gardes devant de cet homme-là et je n'ai plus jamais regardé par sa fenêtre.


J'aimais bien les petites bêtes. Sous le porche arrière, j'avais trouvé une famille de souris. Je leur avais construit un enclos avec des bâtons de popsicle. Mon père me surprit plusieurs jours plus tard à ce jeu. Et, sur un ton sarcastique m'a dit que nous allions faire une expérience. Il remplit d'eau un bocal de verre, y mit les souris qui nagèrent instinctivement et ferma hermétiquement le couvercle, malgré mes protestations. Après une éternité, elles tombèrent une à une au fond, créant chaque fois une secousse douloureuse au plus profond de moi. Quand la dernière toucha le fond, il me dit: "Voici la leçon: les souris ne meurent pas noyées, elles meurent d'épuisement." Puis, il les déversa dans la bouche d'égoût à la rue. J'eu un sentiment d'impuissance insondable. Mais la raison, que ces petites bêtes étaient une nuisance pour un commerce publique, était tout aussi implacable.

À Beloeil, je fréquentai l'école Dominique-Savio avec des laïcs afin de terminer ma troisième année entamée à l'École Jacques-Cartier de LaProvidence; l'école Marie-Rose avec des soeurs pour ma quatrième et cinquième; puis à l'école Saint-Matthieu dans une classe d'essai d'enseignement alternatif pour la sixième. Cette dernière me poussa à réfléchir par moi-même.

C'est à cette époque, quand j'avais neuf ou dix ans, qu'en cachette, je lu une série de livres du Reader's Digest sur les infâmies de la deuxième guerre mondiale: le sort des juifs, des pauvres, des handicapés dans les camps de concentration et leur extermination. Soutenu par d'abondantes photographies choquantes, très étrangères à l'univers feutré dans lequel ma vie baignait, ce récit a entamé une onde de choc. Si cela se passait ailleurs, qu'est-ce qui nous préservait du fait que cela puisse se passer ici (Horreur!)? Était-il possible de tempérer les gestes qui mènent à ces atrocités (Sagesse!)? Comment pouvais-je jauger l'intérêt que portait mes parents à la littérature sado-masochiste pour exciter leur vie sexuelle, (aussi dénichée en cachette) puisque cela impliquait simuler l'infliction de la douleur et de la prise de possession faite contre la volonté de quelqu'un (Confusion!)? Que dire de toutes les interdictions que mes parents imposaient... contre ma volonté, contre mon, que dis-je, notre, propre sens des valeurs? Vous voyez le topo. La révolte devant la contradiction.


Nous revinrent dans ma ville natale afin de pouvoir débuter mon secondaire en école privée (Congrégation de Marie et laïcité). Nous avons vécu dans une maison en location pour un an. Et dans cette année, toutes sortes d'autres changements ont pris place. J'eu mes premières menstruations. Il y eu le trio maléfique. Mes deux grand-pères sont décédés: le père de ma mère que je ne connaissais pas, qui avait toujours été très présent par son absence; et, mon grand-père qui avait mené sa famille en patriarche autoritaire laissant sa famille désarmée à courir comme une poule sans tête, désarticulant notre communauté familiale. Puis Marie, une soeur de ma mère, de qui on me disait le sosie, morte tuée par la dague d'un amant possessif et dont les restes furent retrouvés dans des sacs à poubelle. Une autre soeur de ma mère a quitté son mari et est venu vivre chez nous avec ses deux enfants. Puis ma grand-mère, vivant seule à présent, est tombée d'une chaise se cassant le bras, ce qui nécessita des traitements quotidiens à la parafine, traitement que ma mère seule savait prodiguer. Je fréquentais une nouvelle école. Et dû à mon nouveau statut de femme, de nouvelles règles de vie très restrictives sont tombées en vigueur sur mes allées et venues. Malgré cela, il y eu le trio bénéfique: Paul, Marc, et André qui sont devenus mes amis, mes ancres dans la tempête. Aussi, je suis devenue la gardienne attitrée de ma soeur. Rapport turbulent, nous étions toujours en chicane. Une année bouleversante pour moi. J'ai coulé mon latin car je préférais me réfugier à l'heure des lettres mortes dans un local où les soeurs abritaient des chats perdus et affamés, à la recherche du silence et de la tranquilité qui maintenant me manquaient plus que tout. Mais toujours révoltée. Jugée indomptable et indisciplinée, on m'envoya comme pensionnaire dans un couvent de campagne l'année suivante. Mais cela répondit à mon souhait le plus cher.


Pour recouvrir ces souvenirs primaires que je viens d'étaler devant vous, j'ai dû accepter qu'il n'en fût pas autrement. Ces moments de ma vie ont régit comment je choisis de réagir par la suite face à d'autres changements, d'autres disparitions. Ayant enfouis en tout ou en partie mon passé, j'ai eu peine à vivre mon présent. La prise de conscience de ces changements, parfois radicaux, de ces bouleversements profondément significatifs, de la mort de mes proches, ou du mortifère de mes proches forme le tissu propre de ma vie d'où peut-être l'absence de reluctance à en traiter... aujourd'hui. Tout simplement.

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