Mort, Deuil et Rites funéraires I
La mortalité n'est pas un sujet macabre. Après l'inspiration, c'est l'expiration. C'est le propre de la vie. Dans notre société, vieillissement et obsolescence font pressentir un peu trop la proximité de la mort. On la combat farouchement par la jouvence, la nouveauté et le divertissement. La mort, en revanche, semble générer une activité intensive afin de réduire notre déni. Déni en soi comme en l'autre du passage du temps et du changement suscite beaucoup de tensions pour nous rappeler à une vie plus clémente. L'inertie, le statu quo, l'absence de sens critique dans la société qui obligerait le regard à la fois sur ce qui vit et ce qui meurt est une mort symbolique. La peur excessive de mourir, c'est la peur de vivre... Plus on garde la mort à distance, plus elle nous assaille... avec violence. Mais, il y a peut-être de l'avenir à vouloir retarder le moment final, la cryobiologie se penche sur la question.
Il peut arriver que l'on puisse mourir par choix, le nôtre (suicide (1, 2, 3), euthanasie (1) ou celui de quelqu'un d'autre (avortement (1), homicide, peine de mort (1), génocide (1)), seul (maladie, vieillesse*) ou en même temps qu'autrui (suicide par pacte, suicide collectif, guerre (1)). Il y a les accidents hors de la volonté de quiconque de nuire et les désastres naturels. Il y a 1001 manières de mourir, mais 23 catégories de causes de décès.
* "Mourir de vieillesse, c'est une mort rare, singuliere et extraordinaire, et d'autant moins naturelle que les autres : c'est la derniere et extreme sorte de mourir : plus elle est esloignée de nous, d'autant est elle moins esperable : c'est bien la borne, au delà de laquelle nous n'irons pas, et que la loy de nature a prescript, pour n'estre point outre-passée : mais c'est un sien rare privilege de nous faire durer jusques là. C'est une exemption qu'elle donne par faveur particuliere, à un seul, en l'espace de deux ou trois siecles, le deschargeant des traverses et difficultez qu'elle a jetté entre deux, en cette longue carriere." Montaigne, Essais - Livre I
La mort délimite la vie. C'est sa cessation. Une minute tu y es, l'autre tu n'y es plus. La mort, c'est personnel. La mort est une fin et un changement à la fois. Car une personne disparaît, passe à trépas, retourne à la poussière, et tous ceux qui étaient connecté à elle apprennent à vivre sans, en aménageant le vide, en transposant, projetant, remplaçant tout cet espace physique, affectif, imaginaire que l'autre occupait, sans l'oublier. C'est peut-être pour cela que la mort d'un enfant est si douloureuse, nous les parents, avons tellement de rêves pour eux, et pour leur bien nous leur sommes si attachés. Inévitablement, nous sommes placés devant notre propre finitude quand celle d'un autre arrive, ou lorsqu'on la voit de trop près soi-même, peu importe la circonstance. C'est un processus qui revient souvent, obligatoirement, dans la vie que d'avoir à faire face à la mort, faire face au temps souvent trop court qu'il nous reste à vivre, à notre fragilité, ceci nous ramène au sens que nous donnons à notre propre existence.
L'affaire la plus pressante: disposer du corps. Pour des raisons d'hygiène, de salubrité, de santé publique, au Québec, la loi (1, 2, 3, 4) impose que la préparation, l'embaumement, la crémation ou l'incinération (1) des défunts se fasse dans un délai allant de 6 heures à 48 heures après le constat de décès.
L'industrie de la thanatopraxie, composé de compagnies multinationales, de coopératives funéraires et de quelques particuliers indépendants, pratique un fort lobbying auprès des créateurs de lois afin de maintenir leur monopole sur cette clientèle cadavérique fidèle et régulière, une source de revenu qui ne tarit pas. Elle hérite officieusement de l'ensemble des activités autour de la mort et des restes humains, qui ne sont pas sans risques, hormis peut-être la gestion des cimetières (1, 2, 3, 4, 5, 6), qui relèvent de la gestion des municipalités. Du moins, en Ontario sont-ils des services divisés par la loi. Le marketing de la mort sous la forme des pré-arrangements est devenu un produit comme un autre, réduisant au goût du jour du futur défunt cette importante étape de vie de ceux qui lui survivront. L'imposante présence de ces géants rend difficile de concurrencer leur influence afin de modifier les lois pour permettre l'éclosion de nouvelles pratiques (1) tel passer "de la poussière au compost" moins onéreuse et indigeste pour le sol ou celle strictement soucieuse d'une mise en terre verte (1, 2) souvent acompagnées de la plantation d'un arbre, d'un bosquet ou d'une plaque. Je ne manque pas de faire un parallèle avec l'industrie de l'automobile, ou celles des pays pétroliers qui ne voient pas d'un bon oeil le virage vert, car c'est pour eux une mort annonçée de leur économie. D'où, pour faire répartie, l'éclosion des hybrides à revenu équivalent et à consommation légèrement plus faible que les voitures à grande consommation de pétrole, leur permettant de garder le monopole. Les hybrides mortuaires sont les services à la carte personnalisés. Qui dit changer cette lancée économique, dit opposants, car il y a toujours des gardiens de la tradition pour faire prévaloir, malgré eux, la vertu du pouvoir économique.
Si nos petites bêtes n'ont pu être réchappées in extemis du manque de souffle, les rituels funéraires s'étendent même à leur disparition. Disposer d'un cadavre animal n'est pas évident, cela relève des règlementations municipales (SPCA ou Berger Blanc). Les frais incombent au particulier, sauf si le corps du défunt animal est sur la voie publique où cela relève de la Municipalité. Trouver de l'information sur ce qu'il leur advient après est difficile. Les carcasses d'animaux de ferme se retrouvent dans l'industrie des sous-produits de l'alimentation. On se doute bien que quelque part dans l'histoire, nous devrions relever les activités de la pharmacologie... Mais vous avez la possibilité de choisir: crémarium, cimetière (1) ou hommage virtuel (1) pour le salut de l'âme des petits animaux.
Lorsque vient le temps de pleurer celui ou celle que l'on a perdu et faire son deuil, cela est parfois difficile et nous pouvons avoir besoin d'une aide ponctuelle. La soudaineté, l'injustice et la violence d'une disparition prématurée peuvent laisser des traumatismes. Un retour sur nos valeurs spirituelles s'avère souvent nécessaire pour faire du sens de notre expérience.
Les rites funéraires seraient à l'origine de l'Art. Du moins, l'histoire est mise en relief par l'art que l'on retrouve dans lieux de sépulture. Et les sciences judiciaires (1, 2, 3, 4) contribuent à l'histoire en analysant les restes humains et les artefacts. Les séries télévisées CSI (f), de style polar, sont très en vogue. Kathy Reichs qui est anthropologue judiciaire pour la province du Québec et pour l'état de la Caroline du Nord, a écrit une série de romans d'investigations policières, très populaire, grandement inspirée de son propre vécu. Dès la découverte d'un crime, l'entomologie (1, 2) ou l'étude des insectes, peut déterminer l'heure de la mort. La généalogie se sert des entrées de livres, des pierres tombales, pour retracer le passé. Ce qui pose le problème de la reconstruction du passé à partir de sites verts où en deça de six mois tout est absorbé par la terre, sans laisser de traces.
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